Où ça calcule grave

Chapitre 15

A peine fit-elle quelques pas de plus dans le couloir que Patricia sentit un léger picotement lui chatouiller les coins des lèvres, puis elle se mit à sourire et enfin à rire franchement. Tout d’un coup elle savait exactement ce qu’elle avait à faire. Elle passa en coup de vent à son bureau pour récupérer un carnet et un stylo puis elle circula dans les différents bureaux de la compagnie en posant des questions à ses collègues et en notant dans son calepin leurs réponses. Elle alla ensuite à la cafétéria et fit la même chose avec le personnel de restauration, puis avec celui de l’entretien. Au service comptabilité, elle récupéra un certain nombre de documents qu’elle mit dans un carton avant de retourner à son bureau.

Et là Patricia fit ce qu’elle avait toujours su faire à la perfection et qui lui avait valut cette situation professionnelle : elle compta.

Elle compta le nombre de plats renvoyés en cuisine par Olga parce qu’ils étaient trop ou pas assez cuits, le nombre de commandes d’objets non essentiels entièrement dévolus au confort d’Olga : des sièges inclinables en croûte de porc du Bengladesh, un bureau en bois des îles des mers du sud, un thalasso-pied de bureau, un coussin chauffant, des taille-crayons électriques, des téléphones portables de couleurs qui font appareil photo, pompe à vélo (alors qu’elle a même pas de vélo !) et polisseur d’ongle, des albums photos, des séances de massage chez Alberto, le roi du Palpemoildo (c’est une technique de massage auvergnate qui utilise des extraits d’algues naturelles d’Auvergne et des cataplasmes d’aligot, c’est assez parfumé comme truc), des formules shampoing –coupe -brushing-ravalement de façade chez Jean Philippe Ossution, le coiffeur des vieilles stars et plein d’autres choses encore.

Elle compta les tonnes de laque utilisées par Olga au frais de l’entreprise et de la planète, les incroyables notes de frais dans les restaurants les plus côtés comme le " Courte-Cuisse " de l’A86 où on mange les meilleurs cuisses de grenouille du coin ou encore " l’Auberge de la Poule à trois pattes " tenue par le maître coq Michel Lejardinier, les réservations dans les hôtels luxueux pour les congrès de province comme le Manoir Cénoir (il n’y a plus d’espoir-ar-ar) 4 étoiles au guide de Micheline, la pâtissière de la rue Hervé Vilar, ou bien sûr le fameux hôtel du Flamand Rose à Pagny-sur-Meuse.

Elle compta enfin les centaines de témoignages récoltés auprès de ses collègues sur les bassesses, frasques, coups de gueule, turpitudes, crises de nerfs, hurlements, injustices, méchancetés, humiliation, ignominies, et autres indignités commises par Olga Steuring à l’égard des malheureux employés de la Jak Cie.

Patricia travailla tard pour établir des graphiques, des listing, des tableaux comparatifs avec toutes les données qu’elle avait recueillies. Elle rédigea ensuite deux lettres, une pour accompagner le dossier qu’elle venait de constituer, l’autre pour donner sa démission.

Elle alla directement l’étage du Président, se fit ouvrir la porte par Estelle, la femme de ménage et déposa le tout sur le bureau du grand patron, puis elle retourna dans son service afin de rassembler ses affaires personnelles, elle appela un taxi et rentra enfin chez elle, avec la satisfaction du travail bien fait et un sourire immense accroché sur la figure.

Comments

[J6]

La pompe à vélo, c'est pour pas manquer d'air. Me trompe-je?

[isadora]

Hum, c'est bon, l'intrigue épaisse, les jeux de mots, la rue Hervé Vilar, ma journée commence mieux que prévu, merci Heidi :)
Elle fait quoi, la vilaine Olga, avec sa pompe à vélo ??

[a n g e l]

Ce conte est l'histoire la plus jouissive que j'ai lue depuis longtemps. Pour ça, merci. Pour les jeux de mots merci aussi.

(Patricia, vas y bouffe lui l'oeil à Madame CuloteDanLeCu)

[heidi]

Patricia c'est pas Annie dans Candy hein !

[cali]

mais mais mais... Patricia serait-elle un peu... revancharde ? Elle tend pas l'ôt joue ?
(elle a raison ceci dit)